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1er août 2021 Col des Saisies

Dans le cadre du 77ème anniversaire du parachutage des Saisies du 1er août 1944, la commune de Hauteluce, l'ONACVG et la délégation générale du Souvenir Français de Savoie organisent une cérémonie commémorative sur les lieux du parachutage.

 

 

Rappel des faits par Jean-Yves Sardella, (DGA Savoie)

Col des Saisies 1er août 1944 - Opération « ÉBONITE » CARTE Mouvements des FFI revue

La Résistance savoyarde manque d'armes, en particulier dans le Beaufortin. Le capitaine Jean Bulle, chef militaire du secteur III de la Savoie depuis le Ier août 1943, en collaboration avec la Mission Interalliée et le chef du secteur Joseph Gaudin alias « Belloc » souhaitent un parachutage d'armes et de munitions. Parmi les 8 terrains reconnus et homologués pour recevoir des parachutages, le commandant Guy Fournier « Beaulac » chef départemental de la « Section Atterrissages et Parachutages de la région « RI » choisit le site du Col des Saisies désigné sous le nom de code « Ébonite Roger Levy « Incidence ». Il demande une opération de 10 avions de nuit. Londres propose 36 avions de jour sur « Ébonite » avec les risques que comporte un tel parachutage pour la première fois en plein jour.

Cne Jean Bulle revueCapitaine Jean Bulle

Le 22 juillet, au cours d'une réunion au Monal, sont fixées les modalités de l'organisation sur le terrain : mobilisation des sédentaires, concentration des troupes, répartition des missions de protection, plan de ramassage des cylindres et distribution, tandis que les officiers de parachutages règleront les aspects techniques de la réception. « Beaulac » et Jacques Bugaud « Nicolas » seront chargés de préparer le balisage, 3 feux de bois en triangle de 200 mètres de côté produisant une fumée visible à 8 kilomètres, et les liaisons radio. Au cours de la journée du 31 juillet 1944, la B.B.C. depuis Londres transmet le message :

« Dans le potager, le jardinier arrose ses laitues »

Le parachutage aura donc lieu le lendemain, l'heure théorique étant fixée par la lettre « L » de laitues, donc à la douzième heure. Immédiatement, l'ordre d'alerte est lancé. Les sections F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur) déjà partiellement armées, verrouillent complètement les accès au Beaufortin. Les cols de la Bathie, de la Forclaz, des Cormets d'Arêches et de Roselend en particulier sont aux mains des Résistants. D'autres équipes désignées à cet effet se dirigent vers le col des Saisies.

Parachutage Saisies
Ce 1er août 1944, le col des Saisies va ainsi devenir le théâtre d'un des plus gros parachutages d’armes accordé par les alliés à la Résistance française. En possession de ces informations, Le capitaine Bulle déclenche son dispositif. Il sera considéré comme décisif dans la libération de la Savoie. Les services secrets américains avaient, auparavant, fait une enquête pour savoir si la Résistance locale était « à la hauteur ».

Plus de 400 hommes seront équipés d'une cinquantaine de charrettes rassemblées sur le plateau en vue de réceptionner le matériel. Mais la phrase code est réentendue une première fois avec le terme « poireau » et une deuxième avec le terme « radis ». Ce sera donc à 14 heures (12 heures GMT) que les résistants entendront le vrombissement des avions. Une première vague de 36 appareils se fait voir, suivie d'une seconde à l'horizon. Un sentiment de désespoir gagne Bulle et ses hommes lorsqu'ils voient les avions survoler le col et s'éloigner sans rien parachuter, laissant présager un énième échec. Mais l'escadrille faisait en réalité demi-tour pour se placer face au vent et réaliser le parachutage dans les meilleures conditions.

Ainsi, 78 bombardiers américains, B17 du 338è groupe de bombardement US, escortés par des P51 Mustangs, apparaissent au-dessus du col et commencent à larguer les premiers containers en deux vagues. Apportant aux Résistants savoyards des armes, des munitions, des explosifs, des médicaments et des uniformes.

Les maquisards venus de toute la Savoie récupèrent ainsi 864 containers. Ce « butin » est conséquent : 1096 PM Sten, 298 FM Bren, 1350 fusils Lee-Enfield, 2080 grenades Mills, 1030 grenades Gammon, 260 Colt 45, 51 Piat, deux millions et demi de munitions, de l’explosif, des médicaments, des uniformes, des rations et de l’argent. (voir le rapport d’archive)

En plus du matériel, six Marines américains sautent aussi en parachute. Malheureusement, l’un d’eux, le Sergent Charles Perry, s’écrase au sol, car son parachute ne s’est pas ouvert. Commandés par le major Ortiz, ancien de la Légion Étrangère, ces hommes viennent conseiller et coordonner la Résistance.

Tout cela a lieu en plein jour, à partir de 14 heures, sans que les Allemands ne réagissent ? On pouvait concevoir que, depuis Albertville, ils ont dû forcément voir ce qui se passait et ont pensé que les Résistants devaient être en force pour faire un coup pareil, aussi ne sont-ils pas intervenus !

Aussitôt récupéré, chaque container (environ 145 kg) est chargé à l’arrière d’un camion Citroën type 23 LU afin d’être distribué, plus tard, à un groupe de combat. Les tenues sont disparates. A la nuit tombée, la plupart des armes sont réparties entre les différents groupes qui regagnent leurs secteurs en camions, en charrette, à dos de mulet ou à pied.

Cet apport en armes va considérablement renforcer l’esprit offensif de la Résistance savoyarde.

Dirigés par le capitaine Jean Bulle, les Résistants savoyards sont désormais bien équipés et lanceront ainsi, des attaques importantes contre l’armée allemande, dans les semaines qui suivront et cela accélérera la libération des villes et vallées, jusqu’à la libération d’Albertville le 23 août 1944.

 

CONSÉQUENCES

Le parachutage des Saisies permettra au capitaine Bulle d'armer et d'équiper plus de 3 000 hommes composant son maquis. Cependant, il respectera son plan initial en n'engageant aucune offensive majeure jusqu’au débarquement de Provence (15 août 1944). Mais intensifiera tout de même les coups de main ponctuels et les opérations de guérilla. En réaction au parachutage, les Allemands renforceront leurs troupes. Entre le 7 et le 8 août, la garnison d'Albertville passe de 300 à environ 1 000 hommes.

Le 10, ils quittent Albertville et s'engagent en Tarentaise. Le service de renseignements des FFI indiquera en outre qu'un bataillon supplémentaire en provenance de Grenoble est attendu dans les prochains jours. Sur ordre du commandement FFI des deux Savoie, Bulle et ses hommes iront vers le sud jusqu'à la vallée de l'Isère dans le but de harceler le flanc gauche des Allemands remontant vers Moûtiers et de soulager le maquis de Tarentaise qui tente, tant bien que mal, de les arrêter.

Cependant de simples actions de guérilla suffiront à peine à contenir les troupes allemandes renforcées qui finiront par atteindre Bourg-Saint-Maurice et occuperont ainsi, la totalité de la Tarentaise. Le major Ortiz sera surpris par un convoi allemand alors qu'il était en train d'inspecter le PC du maquis de Tarentaise dans le village de Centron. Soucieux d'éviter des représailles aux villageois, il se constituera prisonnier. Quand enfin l'annonce du débarquement de Provence parviendra à la résistance, celle-ci s'engagera pleinement dans la Libération.

Le capitaine Bulle, dont le principal objectif, était Albertville, souhaitait libérer la citée en évitant au maximum les combats et les pertes humaines. Il utilisera donc un officier allemand prisonnier pour entrer en contact avec les autorités allemandes de la ville et pour négocier leur reddition. Mais il sera arrêté et lâchement exécuté le 21 août.

Fidèle au plan de son ancien chef et fort de l'armement et du matériel reçu lors du parachutage des Saisies, le maquis du Beaufortain fusionne avec celui de Tarentaise et prend l'appellation de « Bataillon Bulle ». Celui-ci réalisera alors la Libération d'Albertville puis de toute la Tarentaise en remontant vers Bourg-Saint Maurice. Au début de l'année 1945, le 7è Bataillon de Chasseurs Alpins dissous en 1940 sera reconstitué sur la base du Bataillon Bulle. Il poursuivra son action en s'emparant du col du Petit-Saint-Bernard ouvrant ainsi la porte vers l'Italie.

 

Témoignages

Sources : Extrait du Bulletin de liaison de l'Amicale des Anciens de l'Armée Secrète de Savoie-N°10 194.

« Et c'est une éclosion miraculeuse de gigantesques fleurs multicolores qui descendent cependant assez rapidement sur le terrain. Tous, les bras levés, nous acclamons les Alliés, les hommes rient, chantent, sautent de joie, dansent, s'embrassent, c'est un véritable délire. Nous sommes, en ce moment, largement payés de nos peines et de nos déceptions par le spectacle qui s'offre à nos yeux. C'est vraiment féerique »

 

Sources : Déposition de Albert Eysseric à la brigade de gendarmerie de d'Albertville le 19 mars 1949.

« En tant que membre de la Résistance, je me trouvais au col des Saisies le 1er août 1944, jour du parachutage. J'étais en compagnie de 2 cinéastes et sachant qu’un corps-franc américain allait être parachuté en même temps que du matériel, j 'ai essayé de distinguer les parachutistes des containers. Je vis la porte d'un avion s 'ouvrir et la silhouette d'un homme dans l’ouverture. Après quelques secondes, l'homme sauta, effectuant un tour sur lui-même, dans le vide. Son parachute se mit en torche et par deux fois, cet aviateur essaya de la main de rattraper les cordages mais ses efforts restèrent vains. Il s 'écrasa au sol et nous nous sommes précipités vers lui (...).

La mort, certainement, avait été instantanée. »

 

Sources : Journal La Savoie 3 et 10 août 1984 « Choses vues par l'abbé Hudrv »

« Le 1er août, après le petit déjeuner, j'étais parti avec Claudius Mercier, l'actuel curé de Sainte-Foy-Tarentaise, dans le hall d'entrée de l'institution (collège) de Saint-Paul, lorsqu’ arrive en trombe l'abbé Fernand Boch. Il revenait d'Albertville en bicyclette et s 'écriait : « Ça y est, il faut partir, « dans le potager, le jardinier arrose les laitues ». Immédiatement, nous revêtons la tenue de campagne : gros souliers, pantalon de drap de Séez, sac tyrolien, etc.... Une demi-heure plus tard, l'abbé Dunand nous attendait avec le ravitaillement pour deux jours. Ce remarquable économe du Collège l'avait mis en réserve depuis longtemps, veillant jalousement sur les boites de conserve qu'il était très difficile de se procurer en ces temps de restrictions. Nos sacs bouclés en silence, nous serrons la main de Dunand, qui bouleversé par l'émotion dit : « Reviendront-ils ? » Fernand Boch sera tué à La Fourvie, près de Notre-Dame-de-Briançon, 10 jours plus tard. Avec Mercier, nous nous rendons à bicyclette à Tours-en-Savoie, comme prévu dans nos instructions. Nous y trouvons les volontaires qui se rassemblent au sommet du village en direction de la chapelle Saint-Clément.

Le lieutenant Fouques, commandant de la compagnie de Basse-Tarentaise nous avait confié la mission d'établir un dispositif au col de La Bathie. Vers 10 heures le groupe est au complet, mais encore sans arme. Celles-ci provenant du parachutage du col du Coin, ont été camouflées dans une grange en bois, à une demi-heure de marche sur le sentier des Hauts-de-Tours. Nous commençons à monter lentement dans la forêt. Notre marche s'alourdit bientôt sous le poids des armes récupérées dans leur cachette. Heureusement que les arbres nous protègent à la fois des rayons brûlants du soleil d'août et de tous les regards indiscrets de l'ennemi. On savait en effet qu'à Albertville, les observateurs allemands scrutaient sans relâche la montagne à la jumelle. Et le versant gauche du vallon du Grand Ruisseau s'étale sans obstacle pour la vue depuis les casernes du fond de la vallée (…)

A notre arrivée au col de La Bathie, ce même jour, le silence règne de nouveau sur le Beaufortin. Immédiatement, nous adoptons un dispositif pour remplir notre mission : interdire les accès du col. Pour dominer les lieux et avoir en même temps une vue plus étendue sur le vallon d'accès, la section s'installe sur l'arête en direction de la Legette du Grand Mont, entre les cotes 2000-2100 mètres. Nous trouvons facilement une « crête militaire » qui permet une protection et un étagement du dispositif des tireurs. Ce n'est pas sans appréhension qu'avec Mercier je mets tout en place. Nos volontaires sont jeunes et sans expérience de la guerre, en face de troupes allemandes aguerries par plusieurs années de combat ou, en tout cas, bénéficiaires d'une instruction militaire très poussée. Nous évitions aussi de trop penser à notre dérisoire puissance de feu : une arme automatique pour la section de Tours, une autre pour le groupe Perrier venu de Cevins.

Nos munitions ne nous auraient pas permis d'alimenter plus de 10 minutes d'un feu nourri. Sans compter qu'un soldat mal entraîné gaspille des cartouches ! Qu'aurions nous fait si une ou deux sections allemandes, habiles à utiliser le terrain, à économiser leurs munitions, nous avaient attaqués ? Par chance le cas ne s 'est pas produit. »

Illustations :

Sources : Archives et collections privées

  • Archives américaines : Rapport sur la Mission « Union II »
  • Carte du parachutage
  • Photos cérémonie Les Saisies 2004 (décorations des sergents John Bodnar et Jack Risler)
  • Parachutage 1 et 2
  • Photo hommage au Sergent Perry
  • Photo du staff et capitaine Jean Bulle
  • Plaque et stèle aux Saisies
  • Plaque Sgt Perry
  • Ensemble du site
  • Photo du Capitaine Jean Bulle
  • Container

 

Bibliographie

  •  « Les Saisies » Beaufortin-Savoie 1er aout 1944 – Direction Départementale de l’ONACVG Savoie - 2004 – Mission du 60è anniversaire des Débarquements et Libération de la France.
  • Gil Emprin - Les carnets du capitaine Bulle : L’homme derrière la légende - Ed. La Fontaine de Siloé, coll. « Carnets de vie », 24 juillet 2002 [archive].
  • Yann Le Pichon (préf. Roger Frison-Roche), Les Alpins : 1888-1988, Paris/Panazol, Berger-Levrault - Ed. Lavauzelle, 1988
  • Collectif d'auteurs-  Le 7e Bataillon de Chasseurs Alpins – Paris - Pierre de Taillac - 2015.
  • Jean-Pierre Biot - Soldats montagnards – Panazol - Ed. Lavauzelle, 1999.
  • Roger Frison-Roche -  Le versant du soleil, Paris, Ed. Flammarion, coll. « Mémoires » - 1981.
  • La Résistance en Savoie 1940-1944 Les Mouvements Unis de la Résistance – André Mollard.
  • La Résistance Savoyarde au service de la France – Charles Planche – Réédition 2002
  • La saga des Saisies – Pascal Meunier – Ed. La Fontaine de Siloë – 1999.
  • Francs-Tireurs et Partisans Français dans la Résistance Savoyarde – Michel Aguettaz.
  • Capitaine Jean Bulle 1913-1944 – Résistance en Savoie – Jean D’Arbaumont – Ed. Dominique Guéniot. 1992
  • Abbé Romain Ploton - Quatre année de Résistance à Albertville -  oct 2003.